Besoin d’Espace

Intégrale Arc 2 – épisode 7

Par La p’tite moustache

 Il a toujours été seul. Je veux dire : plus seul que les autres, parce qu’on est toujours seul avec soi-même, en fin de compte. Mais peu importe. La solitude, on finit toujours par s’y habituer, tandis que l’exclusion, ce sentiment que personne ne vous comprend… c’est pire que tout.

Il était différent des autres, ça se voyait au premier regard. Peu bavard, enfermé dans son monde, avec ses livres et ses dessins. Toujours dans la lune, répétait son père. Mais ça ne sonnait clairement pas comme un compliment.

Quand j’étais petit, j’aimais passer mes vacances avec lui. On ne parlait pas beaucoup, on n’en avait pas besoin. Une complicité s’était tissée dès le début, étroitement liée grâce à nos conversations silencieuses, qui avaient plus de pouvoir que toutes les paroles vides que s’échangeaient les adultes et qui semblaient rebondir sur lui sans l’atteindre. Mais malgré le bouclier invisible qu’il avait construit entre lui et la réalité, sa famille, qui cherchait à tout prix à le ramener sur Terre, l’étouffait. Il avait besoin d’espace.

Un jour, je l’ai vu vraiment s’énerver. Lui, qui était toujours si calme… Ça m’a fait un choc.

Il aimait beaucoup dessiner, et il était vraiment doué. Ses dessins racontaient des histoires, des voyages dans l’Espace, des départs pour la Lune ou Jupiter, des courses d’étoiles filantes…. Son imagination était une vraie fourmilière, une usine à créer des aventures qu’il me racontait ensuite avec passion. Dans ces rares moments, le discret Luis disparaissait pour laisser place au voyageur intrépide, chasseur d’extraterrestres découvrant un trésor sur une autre planète. Il pilotait ses histoires avec la virtuosité d’un écrivain, et moi, incapable de détourner mon regard de ses yeux qui brillaient comme deux étoiles solitaires, je rêvais d’être un jour aussi doué que lui.

Son père n’était pas du même avis. Il n’a jamais compris, il n’a jamais cherché à comprendre. J’étais venu passer Noël chez eux lorsqu’il a pété les plombs. Luis me montrait ses nouveaux dessins quand il a débarqué. C’était la fois de trop. Il a hurlé qu’il en avait plus qu’assez des enfantillages de Luis, et qu’à 17 ans, il était presque devenu un homme, et qu’à présent, il ferait mieux de se concentrer sur ses études plutôt que sur des gamineries à dormir debout, et qu’il devait revenir à la réalité.

Luis l’a d’abord ignoré. Il n’a même pas levé les yeux. Ça a rendu son père fou de rage. Alors, sans prévenir, il a déchiré ses dessins.

Sous le choc, Luis est resté sans voix. Ses yeux se sont écarquillés et toute lueur a disparu de ses prunelles quand il a fixé les morceaux de papier éparpillés sur le sol. Son regard était vide, un véritable trou noir. Il n’a pas crié. Il n’a même pas parlé. Je crois qu’il en était incapable.

Dans l’heure qui a suivi, il a rassemblé ses affaires et il est parti. On a plus eu de nouvelles de lui jusqu’à ce que son nom paraisse dans le journal deux ans plus tard, avec 500 autres volontaires pour la mission Aglaé. Ils cherchaient des jeunes en bonne santé, sans qualification particulière, prêts à sacrifier quelques années de leur vie pour un projet qu’ils appelaient « l’avenir de notre civilisation ».

L’Espace. Son rêve. Il n’a pas dû hésiter une seule seconde.

Avant le départ, ses parents sont venus le voir pour tenter de le dissuader. C’était inutile, bien évidemment. Son choix était fait depuis longtemps.

J’étais à la fois triste et content quand il est parti. Triste, parce que je savais que je ne le reverrai pas avant très longtemps, mais content pour lui, parce que je savais qu’il allait être heureux là-haut. Il était trop passionné pour rester sagement sur Terre.

Mais maintenant, j’ai peur. Peur que la force de tes rêves t’empêche de voir qu’un danger arrive. Luis, tu dois revenir. S’il te plaît.

Défi du Jury : Vous pourrez retrouver : une oxymore, des comparaisons et des métaphores à la pelle, un parallélisme, un polysyndète et plus ou moins quelques syllepses ^^